Non seulement le secrétaire ne console pas (c’est le rôle d’Amour), mais il n’est plus guère celui à qui on confie des pensées privées et secrètes, ni l’assesseur de l’acte d’écriture ou même le scribe du poète. Auprès de « Panjas » (Jean de Pardeillan de Gondrin), en France, secrétaire du cardinal d’Armagnac, il s’exclame également, « Ne t’esbahis-tu point comment je fais des vers ? Ces exemples montrent également combien la notion de genre est élastique chez Du Bellay, car la plupart de ces cartes postales sont aussi des satires. Même si epistola non erubescit, la règle de l’aptum demeure : la lettre représente une espèce d’ambassadeur qui doit toujours tenir compte de la personne à qui elle s’adresse83. 14 Mais il est aussi capable d’employer, dans les Jeux Rustiques par exemple, l’image plus banale des bois « de ma peine secretaires » (17, v. 152). 97 « Le lecteur — avatar moderne de l’auditeur — ne serait donc que le témoin d’une parole adressée à un autre, qu’il s’agisse de la structure duelle d’une adresse explicite ou de la structure à la fois unitaire et dédoublée d’une auto-adresse » (J. de Sermet, p. 85). Sa présence n’est plus l’indice d’alléger la lettre mais la marque de l’éclosion d’une familiarité, un gage d’amitié, une nouvelle forme de compliment. Au lieu de s’adresser à son ennemi, le poète peut envoyer à un ami un discours satirique codé, prenant pour cible une connaissance commune, tout en faisant participer une quatrième personne, le lecteur, à cette intimité. (v. 12-14). 115En l’occurrence, le calembour sur « Maraud », nom du valet de chambre du cardinal Du Bellay, n’exclut pas un arrière-fond historique. Vérifiez si votre institution a déjà acquis ce livre : authentifiez-vous à OpenEdition Freemium for Books. 24 Voir Duchêne, « Lettre et épître » : « [...] entre lettre et épître, la principale différence repose sur l’opposition de la spontanéité et du travail, du langage habituel (la prose) et de celui des Muses (les vers) » (p. 9). 21 En comparant les Souspirs d’Olivier de Magny aux Regrets, Legrand remarque : « À la différence de Du Bellay, Magny n’emploie ni le mot “secrétaires”, ni le mot “journaux”, ni encore le mot “commentaires”, pour désigner ses vers. Toute l’argumentation, en fait, tourne autour de la question de l’interprétation des sonnets, et plus particulièrement de leur caractère référentiel. Les autres sonnets, en revanche, mettent Du Bellay directement aux prises avec Ronsard ; loin de signaler une capitulation, comme il semble le faire au sonnet 20, l’emploi du « je », voire du nom propre lui-même, permet l’affirmation d’une identité poétique qui se définit précisément en s’opposant. En même temps se pose la question de la lecture de la correspondance unilatérale avec cette société : les allusions ont posé problème dès la parution du recueil, mais la difficulté de lecture est en partie compensée par les plaisirs de l’indiscrétion. Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search. Quel vice est-ce doncq ?C’est, pour le faire court, que tu es un pedante. By 1554 it was being stated in royal grants that wrong was done to an author by unauthorised and incorrect printing of his works, and that he was naturally the best person to supervise the printing » (p. 83-84). 34 Rigolot remarque que Ronsard cherche toujours à tendre vers « le doux » et embrasse « la nouvelle thématique anti-pétrarquiste qui refuse les “parjures artifices” du style enflé et fardé pour adopter “un mignard et dous stille”. » Le genre du commentaire ou du mémoire latin a, bien entendu, été prolongé en langue vernaculaire, notamment en français, un peu après que Du Bellay ait écrit ses poèmes, par exemple dans les Commentaires de Biaise de Montluc (1592), qui sont en grande partie des récits de guerre. Alors, voyant cette nouvelle Aurore, Le jour honteux d'un double teint colore Et l'Angevin et l'indique7 orient8. Marot donne à ses expériences un aspect plaisant capable de charmer le roi et d’obtenir son aide ; grâce à « l’élégant badinage », il généralise son cas, et il en résulte « un personnage infiniment séduisant » (Mélançon, « La personne de Marot », p. 527). aussi le sonnet 5. 25 Duchêne : « Badinage et rapidité d’un côté. Le même phénomène se produit au sonnet 113, tout aussi violemment satirique, dont on devine facilement la cible136 : Avoir veu devaller une triple Montagne,Apparoir une Biche, & disparoir soudain,Et dessus le tombeau d’un Empereur RomainUne vieille Caraffe eslever pour enseigne [...]. C’est tout d’abord avec l’épître que Du Bellay entretient ses relations avec les grands, et alors la lettre familière constitue le modèle du rapport amical. Or ce tercet porte les indices d’une destination au-delà de Vineus, comme si celui-ci n’était pas le destinataire véritable du message de Du Bellay, mais plutôt son émissaire. On assiste donc à cette communication en tant qu’auditeurs/lecteurs « indiscrets97 ». Tout le monde connait, peut-être même sans le savoir les Regrets de Joachim du Bellay, et surtout le sonnet 31. En effet, c’est au discours indirect qu’est rapportée l’injustice dont il est victime : « C’est qu’on dit que je n’ay ce malheur merité. 48Ainsi, Olivier remarque qu’en relisant l’ouvrage, il y prend de plus en plus de plaisir, et que de nombreuses références lui échappent parce qu’il n’est pas au courant des sujets traités. 44Notons que Du Bellay s’empresse de joindre le sonnet en question (R 49) à sa lettre. Le tableau, devenu tout à coup une évocation idyllique, s’unifie. 128 Yvonne Hoggan-Niort signale que « les mésaventures de voyage et les descriptions burlesques des villes traversées sont un des thèmes favoris de la poésie burlesque italienne » (p. 376). 93 Du Bellay suit évidemment ici l’exemple des élégiaques latins, dont Paul Veyne résume brillamment le style : « Pour donner au lecteur une impression de simplicité, de spontanéité, d’absence d’artifice et de langue parlée, il faut une construction d’une complexité exceptionnelle » (p. 45). Pour un exemple de journal de voyage épistolaire de la fin du XVIIe siècle, voir l’article de Yvonne Bellenger, « Le récit de voyage par lettres dans le Nouveau Voyage d’Italie de Misson ». Dans le reste du sonnet, Du Bellay donne libre cours à sa verve, car la vie menée par Dagaut n’est autre que le contraire, l’image inversée de l’existence de Du Bellay à Rome. C’est le cas du sonnet 151, où le poète cherche à se défendre contre un critique de mauvaise foi : Je ne te prie pas de lire mes escripts,Mais je te prie bien qu’ayant fait bonne chere,Et joué toute nuict aux dez, à la première,Et au jeu que Venus t’a sur tous mieulx appris, Tu ne viennes icy desfacher tes esprits,Pour te mocquer des vers que je metz en lumière,Et que de mes escripts la leçon coustumiere,Par faulte d’entretien, ne te serve de riz. La tension continue à monter jusqu’à ce que le poète dévoile le vice secret de son ennemi : Et quoy ? En effet, le vers est l'occasion pour notre poète, et il le dit au s. 14, de désaigrir sa colère, d'y déverser son venim. 135Gilbert Cousin est plus connu que De-Vaulx, mais le sonnet 142 qui lui est destiné, composé essentiellement d’aphorismes et de conseils à l’intention du bon courtisan, ne semble pas cadrer avec ce théologien franc-comtois, secrétaire d’Erasme155 : Cousin, parle tousjours des vices en commun,Et ne discours jamais d’affaires à la table,Mais sur tout garde toy d’estre trop veritable,Si en particulier tu parles de quelqu’un. Pour une étude vraiment centrée sur le phénomène épistolaire dans les Regrets, voir l’article de M.-D. Legrand, « Le Modèle épistolaire dans Les Regrets de Joachim Du Bellay ». L’un d’entre eux, cependant, s’indigne dans « Sonnet d’un quidam87 » de voir Du Bellay s’en prendre aux habitants de Genève, dénoncés au sonnet 136 pour leur hypocrisie et pour leur tempérament moralisateur88. (R 65, v. 1-11). Le sonnet représente un véritable mode d’emploi : Du Bellay conseille de parler « tousjours des vices en commun » (v. 1) et d’éviter d’« estre trop veritable » (v. 4), mais plus loin (v. 7), il recommande le mensonge uniquement s’il est « profitable » et ne nuit à personne. (v. 1-4). 6 Selon Basso, le manque de prestige réel est gommé, dans les traités, par le portrait du secrétaire idéal : « Le secrétaire des théoriciens n’est pas médiocre ; il n’est pas un de ces subordonnés extrêmement spécialisé comme le “segretario di complimento”, qui, à Rome, ne rédige que des lettres de compliment, ou bien comme le “segretario dell’ambasciata”, nouvellement introduit à la Curie romaine, attaché à un cardinal pour ne faire que “visite et complimenti” oraux, au nom de son maître » (p. 238). 100La présentation de chaque soupçon sous forme d’interrogation accentue le caractère dialogique du poème. L’absence du nom de Ronsard est d’autant plus curieuse que deux des sonnets précédents (Regrets 8 et 10) sont ouvertement adressés à « Ronsard » et à « mon Ronsard ». 54 Gray signale que certains sonnets des Regrets appliquent des procédés purement phoniques aux noms de leurs destinataires : par exemple, au sonnet 12, la dernière syllabe du nom du poète et secrétaire Olivier de Magny est reprise dans les mots « ennuys » et « nuicts » se trouvant à la rime aux vers 5 et 8 ; également au sonnet 14 où « Boucher détermine le jeu de mots en-asche » (La Poétique de Du Bellay, p. 114-115). Dans la gamme lettre-épître des moyens de communication, l’épître — ne serait-ce qu’en raison de sa forme rimée — ne peut être familière que par convention, comme au théâtre le vers alexandrin est réputé prose » (p. 12). Orphelin dès l'âge de deux ans, il gagne Poitiers en 1545 pour y étudier le droit. (R 57, v. 1-14). Celle-ci, verra-t-on, ne manquera pas d’influencer la poétique de la lettre familière. 116 « Par essence, ces lettres sont orientées vers plusieurs destinataires, mais elles peuvent mettre en place un jeu de relais sur la ou les personnes du destinataire. (p. 43-44). Fumer sa cheminée, et après long séjour Scévole de Saint-Marthe souligne que Du Bellay a eu de la chance de mourir avant l’éclatement des guerres de religion : « Vt hsec vitæ brevitas eò minus dolenda censeri debeat, quòd eum instanti totius patriæ incendio tam opportunè subtraxerit » (p. 41). Conditionné par son statut de notes, de brouillons de secrétaire, ce style va désormais s’appliquer à des lettres, qui seront écrites désormais en vers. Par exemple, les deux premiers vers du sonnet 8, adressé à Pierre de Ronsard, donnent immédiatement un ton familier au texte, par l’emploi d’expressions chargées d’affectivité qui suggèrent une tendre amitié réciproque : « Ne t’esbahis, Ronsard, la moitié de mon ame, / Si de ton Dubellay France ne lit plus rien [...] » (v. 1-2). On peut aussi mentionner A. Heulhard, Rabelais, ses voyages en Ltalie. 126C’est l’amitié avec le seul Dagaut qui est célébrée au sonnet 115, qui reprend le contraste du sonnet 57 : O que tu es heureux, si tu cognois ton heur,D’estre eschappé des mains de ceste gent cruelleQui soubz un faulx semblant d’amitié mutuelleNous desrobbe le bien, & la vie, & l’honneur ! Non seulement le sonnet n’explique pas de quoi le poète est accusé, mais ce dernier semble se contenter de s’apitoyer sur son sort, sans demander explicitement une aide quelconque ; en même temps, ces vers s’adressent à l’envoyé extraordinaire du roi Henri II à Rome, une personne bien placée pour intercéder en sa faveur. Dans ce type de lettre, l’« inconnu » n’est plus le destinataire, le « tu », mais la troisième personne, la non-personne. 148 Nous tranchons donc ici pour l’hypothèse avancée par E. Droz. Nam selectissimum ilium Gallicæ dictionis nitorem ac perpetuam quamdam in illa lingua gratiam, qui talem vel polliceatur vel jam jam re ipsa præstet, nondum quemquam hactenus legere contigit. Ce glissement semble être confirmé au dernier tercet ; si le sujet grammatical reste à la troisième personne (la fortune), le sujet d’énonciation est désormais désigné par le pronom « nous ». Il a écrit La Défense et illustration. 102Non content de traiter ce « tu » de « mastin », exactement comme au vers quatre du sonnet 65, Du Bellay choisit un thème identique : dans les deux poèmes, la renommée du personnage est trompeuse (« trop quelquefois estimé », R 69, v. 4 ; « Tu crois que je n’en sçay que par la renommée », R 65, v. 5), et Du Bellay réserve à cet « ami » une riposte inattendue : Qui t’ha, chien envieux, sur moy tant animé,Sur moy, qui suis absent ? C’est précisément parce que les poèmes impliquent des récepteurs que l’on peut établir le caractère épistolaire des Regrets ; dans la plupart des cas, le point de départ (et d’aboutissement) du trajet épistolaire est un nom propre. 81Assez nombreux sont les sonnets qui s’adressent à un personnage bien précis, mais dont le rapport avec la matière du sonnet est ambigu ou ténu. Or Du Bellay semble opposer cette expérience à la poésie et croire que la création littéraire qui s’en inspire est à jamais indigne de recevoir le nom de poésie. Du Bellay, Les regrets, 1558, Commentaire du sonnet XXXII, “ Je me ferai savant en la philosophie…” Introduction : Au XVIème siècle, un nouveau mouvement culturel et littéraire voit le jour en Italie et se développe en Europe : l’Humanisme. Procédons à présent à un examen plus fouillé de la nature de cette relation et de la profondeur du lien épistolaire. Cette démarche, propre au genre de la « lettre ostensible », donne lieu tantôt à des lettres « circulaires », tantôt à des lettres « à destination différée » dont nous montrerons des occurrences. (v. 1-4). Commentaire de texte de 6 pages en littérature : Joachim du Bellay, Les regrets, sonnet 77, 1558. de Screech. 4Le premier tercet du poème qui ouvre les Regrets est un reflet de la situation professionnelle du poète à Rome. Joachim du Bellay était un humaniste, membre de la Pléïade (qui comptait 7 poètes, dont Ronsard). 125 Les importantes fonctions communautaires et poétiques de la lettre circulaire dans les Regrets feront l’objet d’une étude plus détaillée au troisième chapitre. Maraud, qui n'es maraud que de nom seulement, est un poème de Joachim du Bellay. Cette fois, ils sont en même temps les notaires compétents qui attestent de la validité du testament et les secrétaires fidèles. Et plus que l’air marin la douceur angevine. Dans le troisième, Du Bellay passe d’un destinataire-protecteur à un destinataire qui est vraisemblablement son ami ; ainsi la nature du sonnet passe d’une parodie de dépêche diplomatique à une lettre familière satirique. 111Les annotations dans les premières éditions143, ainsi que dans les plus récentes, nous signalent que le « tu » n’est autre que Pierre de Ronsard. Le « je » établit un lien avec Mauny, d’abord un peu timidement au moyen du « on », puis ensuite plus étroitement et explicitement grâce au « nous » : D’ou vient cela (Mauny), que tant plus on s’efforceD’eschapper hors d’icy, plus le Demon du lieu(Et que seroit-ce donq si ce n’est quelque Dieu ? Mais qu’en est-il dans les sonnets sans destinataire ? » (trad. 67Le lecteur pourrait avoir l’impression que Du Bellay parle lui-même au nom d’un groupe de poètes-secrétaires exilés, qui s’adresserait, par son intermédiaire, à un cercle de poètes restés en France. Il se produit ainsi un renversement à deux niveaux. Le sonnet 132 évoque en détail l’itinéraire de Du Bellay à travers l’Italie, au sonnet 133 nous le retrouvons à Venise ; puis suivent les étapes en Suisse (134-136) et à Lyon (137), et enfin Du Bellay revient à son point de départ, Paris. 78À ce stade de notre étude, il paraît nécessaire d’analyser d’abord ces cas limites où la relation épistolaire semble discutable ou inexistante : ce sont les cas de destination faible. Et l’histoire éditoriale de l’œuvre semble tenir compte du caractère subversif de la collection : les sonnets les plus caustiques ne figurent que sur un « carton » inséré dans certains exemplaires de la première édition de 1558 et ne seront publiés à nouveau qu’au XIXe siècle90. 39La question concernant le rôle de la destination dans l’œuvre n’a pas été soulevée pour la première fois par des critiques de la seconde moitié du XXe siècle : en effet, le problème s’est posé en 1559, peu après la parution du recueil, lorsque Du Bellay était de retour en France67. Le deuxième sonnet dresse un portrait accablant du milieu romain tout en continuant à insister sur les malheurs du poète. 63 Nous aurons l’occasion d’en parler au chapitre suivant. 8 Appendice A du t. II de l’édition Chamard des Œuvres de Du Bellay, p. 206. 72 Il s’agit ainsi de publication au sens contemporain du terme. La fin du poème repose peut-être sur un jeu de mots plus savant : lorsque Du Bellay évoque « les fanges », il est possible qu’il cherche à jouer sur l’étymologie du nom latin de Paris, « Lutèce », dérivé du mot latin « lutum », boue. 7 Et au sonnet 129, on voit mieux comment biographie et symbole s’unissent par le biais de ces correspondants. Mon dessein et mon souci n’étaient pas de faire un livre, mais d’adresser à chacun une lettre. C'est celui qui commence par "Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage". L’ambassadeur écrit pour son seul maître et lui révèle la totalité de ce qu’il sait, sans aucune réserve » (Neveu, p. 47). Aspects épistolaires des, Chapitre 3. D’abord, Du Bellay a sans doute écrit certains sonnets-épîtres spécifiquement pour quelques destinataires, tout en prévoyant ensuite une diffusion un peu plus large, à un ensemble d’amis et de protecteurs susceptibles de les apprécier, avec une éventuelle publication en vue. 82Dans sa version manuscrite, ce sonnet entretient des rapports étroits avec son destinataire, car on trouve au vers 3 du ms. fr. Nous autres malheureux suivons la court Romaine,Où, comme de ton temps, nous noyons plus parlerDe rire, de saulter, de danser, & baller,Mais de sang, & de feu, & de guerre inhumaine. 47 Voir supra, la discussion sur la multiplication du moi chez Pétrarque, p. 31. 99 G. Haroche-Bouzinac affirme pour la lettre familière que « l’épître est destinée à être diffusée à une échelle plus large, mais ne perd pas pour autant les avantages du genre destinés à imprimer plus de force au discours : interpellation d’un destinataire précis, vivacité du monologue » (p. 26), mais ces observations semblent valoir aussi pour l’épître en vers. Différents genres de lettres aident à gérer le mélange du privé et du public dans le recueil : outre la lettre familière et l’épître, Du Bellay met à contribution la carte postale poétique, mais aussi les lettres circulaires et à destination différée. Cependant, il y a des cas où la distinction entre destination publique et destination privée n’est plus pertinente, où la réalité historique s’estompe au profit des procédés épistolaires autarciques : notamment lorsque la destination devient un jeu en soi, une célébration du nom du destinataire grâce aux allusiones déjà mentionnées. Les lettres familières abondent. 48 V.-L. Saulnier l’a vu dans son Du Bellay, l’homme et l’œuvre, sans pour autant saisir l’importance des noms propres : « [...] le nom de l’ami dans le billet n’a guère que le sens d’une dédicace », mais ces dédicaces ont une fonction indirecte (globale), dans la mesure où elles visent à « resserrer les liens qui [...] lient [Du Bellay] à l’état-major poétique de France » (p. 94-95). De fait, le « on » englobe aussi le poète, si bien qu’expéditeur et destinataire(s) ont ainsi tendance à se confondre. 93Le passage du poète au premier plan s’accompagne de l’effacement formel du « tu » ; le lecteur, qui avait peut-être tendance à s’identifier avec ce dernier, passe donc des plaisirs de l’écoute indiscrète à ceux de l’interlocution directe. (v. 12-14). Le caractère épistolaire s’évanouit ainsi dans des réflexions gnomiques, à la portée de tout le monde. (v. 12-14). L’inversion exprime en quelque sorte une profession de foi. This consideration is slow to find expression in their applications for privileges [...]. Troisième étape : lorsque l’œuvre a été complétée et publiée, un public plus vaste y a eu accès. Comprendre d’abord à qui l’on parle permettra peut-être de mieux saisir qui parle.Joëlle de Sermet, « L’adresse lyrique ». 47Cependant, si le monde référentiel du sonnet 49 paraissait évident aux détracteurs de Du Bellay, tel n’était pas le cas pour tous ses lecteurs. Comme les sonnets 132 à 138 ne transmettent aucune information personnelle et sont essentiellement des tableaux généraux ou des satires publiques, ils sont parfaitement adaptés à ce type de lecture « en relais117 ». (v. 1-8). 121Mauny semble donc être cet autre exilé à Rome, Mathieu de Mauny148. 32Pour Huguet, qui cite ce quatrain même, « adresse » a le sens de « direction », « route ». Ainsi, de Venise : Il fait bon voir (Magny) ces Coions magnifiques,Leur superbe Arcenal, leurs vaisseaux, leur abbord,Leur sainct Marc, leur palais, leur Realte, leur port,Leurs changes, leur profitz, leur banque, & leurs trafiques [...]. Adressé à « Panjas », ce sonnet dresse une longue liste des « passetemps » (v. 1), autrement dit des tracas administratifs, de Du Bellay : Panjas veuls tu sçavoir quels sont mes passetemps ?Je songe au lendemain, j’ay soing de la despenceQui se fait chacun jour, & si fault que je penseA rendre sans argent cent crediteurs contents. Même si l’on ne peut guère la définir avec précision, étant donné le peu d’information dont nous disposons sur les destinataires, cette complicité sous-jacente fonde l’essentiel de la relation épistolaire familière. 133 Voir les remarques brillantes de R. A. Katz à ce sujet: « The poet is fully aware that what he is now in the process of writing clashes with all his previous sttictures on pretense and flattery, both social and literary; and although he asserts that posterity will not accuse him of false flattery, he dœs not, in fact, explain why: faulty apologia. Dans ce contexte, le secrétaire cesse d’être un simple émissaire, ne serait-ce qu’éphémère (« dolce pensero »). (v. 9-14). 88Un pareil genre évite rarement les lieux communs. Or le cardinal n’est pas seul à se sentir offensé, car on a apparemment fait savoir à Du Bellay qu’il portait atteinte à la religion catholique, et était, de ce fait, passible de l’Inquisition : Quant à l’Inquisition, qui est le principal poinct dont l’on veult me faire peur, je vouldrois estre aussi asseuré, Monseigneur, de debvoir reguagner vostre bonne grace que j’ay peu de craincte de tel inconvénient. 13Les dramatisations que l’on vient d’observer, sortes de mises en scène de la dépendance du poète vis-à-vis d’un secrétaire qui lui est subordonné, ne sont pas propres à Ronsard et au pétrarquisme ; elles existent aussi dans la tradition française du XVIe siècle, notamment chez Marot. En général, le génie de Du Bellay consiste à éviter d’alourdir inutilement ses sonnets de références historiques, géographiques et littéraires érudites, mais à les incorporer dans des contextes susceptibles d’être compris et appréciés par un public beaucoup plus vaste. Dans le cadre de cette même affaire, Du Bellay se justifie auprès de son ami « Vineus » (Jérôme della Rovere) au sonnet 43 et, après avoir affirmé qu’il est au-dessus de tout reproche (« J’ay fait à mon seigneur fidelement service, / Je fais pour mes amis ce que je puis & doy », v. 5-6), constate tristement que « Le malheur me poursuit, & tousjours m’importune » (v. II). 30Respectant ainsi, en grande partie, le scénario selon lequel le secrétaire, (re)devenu poète, se confie à ses vers à leur tour secrétaires, le début des Regrets renforce donc l’illusion de l’exil du poète sur les plans non seulement géographique et culturel, mais aussi poétique. 110 G. Haroche-Bouzinac, L’Épistolaire : « Le naturel qui y règne n’est qu’une apparence de négligé, et parmi la gamme des formes offertes par l’art épistolaire, ce mode est probablement celui qui s’approche le plus de la conversation [...]. © Presses de l’Université de Montréal, 2001, Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540. Du Bellay, Les Regrets, sonnet 68. LES REGRETS . En effet, Screech signale que le premier vers du tercet fait allusion à l’adage « Ars est celare artem » ; de fait, le secrétaire d’Érasme était également responsable d’une édition des Adages156. 155 Lucien Febvre parle d’un « théologien libéral » (p. 123). (R 142, v. 1-14). Ce tercet est à rapprocher des Segretarii du milieu du XVIe siècle, où les secrétaires expriment, comme jamais auparavant, toutes les insatisfactions liées à leur métier5. La distinction entre ces deux genres, déjà peu claire105, se brouille davantage chez Du Bellay parce qu’il pratique la lettre familière en vers, alors qu’elle relève traditionnellement de la prose. 9 Voir Biow: « The secretary in this sonnet is just a substitute, a stand-in for the presence of another whose words he simply transmits. Le manuscrit qui lui fut offert en mars 1538 comporte donc une version adoucie de l’épître, de laquelle toute trace d’hérésie a été effacée [...]. Si les Muses fuient Du Bellay, c’est peut-être parce que son attirance pour la prose, l’antipoésie, les effraie. (t. IV, p. 128, V. 1-14). Le premier mot du poème surprend donc, puisque, pour la première fois, s’affiche un « nous138 », supposant selon toute apparence une identité collective face à un « vous » : Nous ne faisons la court aux filles de Memoire,Comme vous, qui vivez libres de passion :Si vous ne sçavez donc nostre occupation,Ces dix vers ensuivans vous la feront notoire [...]. 45 Ce sonnet ne représente pas un cas isolé. Je hais du Florentin l’usurière avarice, Je hais du fol Siennois le sens mal arrêté, Je hais du Genevois la rare vérité, Et du Venitien la trop caute malice : Je hais le Ferrarois pour je ne sais quel vice, Je hais tous les Lombards pour l’infidélité, Le fier Napolitain pour sa grand’ vanité, In 1558 he published the poems he had brought back with him from Rome, including the Antiquités de Rome, and the sonnets of Les Regrets. La transformation que ce dernier lui fait subir est du plus grand intérêt : à l’inverse du mythe originel, ce n’est plus Daphné, ou la dame poursuivie, qui est transformée en arbre, mais Apollon / le poète. Commentaire sur le Sonnet, Les Regrets, Du Bellay. On n’a pas trouvé trace d’un procès fait par Du Bellay, par exemple, du moins selon Cooper, le meilleur connaisseur des archives concernant la Pléiade. À l’échelle du groupe, Du Bellay, reprenant son rôle de porte-parole, utilise certains autres sonnets pour confirmer une identité poétique commune aux différents membres de la Pléiade, mais aussi pour s’adresser aux personnages qui partagent des convictions politico-religieuses semblables aux siennes. 80On peut voir, dans cette référence à la troisième personne à Pallas, une adresse voilée à Marguerite de France, à qui le poète demanderait protection et subventions, pour lui et pour tous les artistes, sur le mode épistolaire. Chapitre 2. 43L’apologie de Du Bellay se fonde avec justesse sur le sens à donner à ses poèmes, et plus particulièrement sur le choix d’une poétique de l’allusion, conçue pour protéger la confidentialité du contenu. En effet, à son ami et protecteur Jean de Morel, maître d’hôtel du roi Henri II, tuteur du fils bâtard du roi Henri d’Angoulême, il déclare, exaspéré, dans le sonnet 39 : Je suis né pour la Muse, on me fait mesnager :Ne suis-je pas (Morel) le plus chetif du monde ? Étude du sonnet A une passante de Charles Baudelaire. 49 G. Mathieu-Castellani : « [...] le Nom remplit une fonction conative, très importante dans l’ensemble du recueil : en effet la relation qui unit le destinateur du message à son destinataire se trouve mise en relief, et ce type de discours suppose plus que tout autre un échange. Cité dans J. de Sermet, p. 85. 21La muse, témoin des malheurs d’Ovide (« Musa mea est index nimium quoque vera malorum »), disparaît27 chez Du Bellay, remplacée par les vers qui jouent simplement le rôle de dictatores. 91Le plus fréquemment, le sonnet reste une réponse visant une personne désignée par « tu ». 87 Dans l’appendice B du tome II de l’édition Chamard des Œuvres poétiques :Que songeois tu, Bellay, lors que parmy tes rymesApres t’estre mocqué des Papes & des Rois,Tu a en-contre nous ozé dresser ta voix,En nous chargeant, menteur, imprudemment de crimes ? I paint not, in my art, so rich a picture, Aux Circés d’Italie, aux sirènes d’amour, Mais Huguet offre une définition de cette expression même, prise dans ce sonnet des Regrets : « Registre relatant les faits de chaque jour ». La destination se joue dans l’espace de cette distension. Il confirme, ce faisant, le moindre statut du secrétaire français. On peut ainsi voir cette strophe comme un hommage au travail éditorial de Cousin. En ce qui concerne les deux satires, la volonté de dédicacer cède la place à une forme d’encadrement épistolaire, afin d’amuser le destinataire, chez qui le poète espère trouver une certaine complicité, et de camoufler une satire risquée en correspondance privée. Il y a ainsi passage d’une lecture discontinue par quelques privilégiés à une lecture continue par un groupe indéterminé100. S’il continue à explorer le genre du sonnet et qu’il ne tourne pas le dos à l’inspiration antique et pétrarquiste, il en modifie l’interprétation. 7 Pages • 733 Vues. Merci, nous transmettrons rapidement votre demande à votre bibliothèque. Postmodo conlectas utcumque sine ordine iunxi :hoc opus electum ne mihi forte putes. » Haroche-Bouzinac, « “Billets font conversation”, De la théorie à la pratique, l’exemple de Voltaire » (p. 342-343). Il rentre en France en 1557 et fait paraître son recueil chez son ami et éditeur Morel[1]. Sans donner beaucoup d’explications, il justifie son attaque contre la famille des Caraffa, dont était issu le pape Paul IV, par son indignation à l’égard de la façon dont elle traitait le cardinal84.